mercredi 20 octobre 2010

Boycott : la contre-offensive d’Israël et de ses amis, par Dominique Vidal (fév. 2010)

« Je n’accepte pas que des personnes, responsables associatifs, politiques ou simples citoyens, appellent au boycott de produits au motif qu’ils sont kasher ou qu’ils proviennent d’Israël. Je souhaite que le parquet fasse preuve de davantage de sévérité à ce sujet. J’ai donc adressé une circulaire aux parquets généraux, leur demandant d’identifier et de signaler tous les actes de provocation à la discrimination. J’entends que tous les auteurs d’actes soient poursuivis dès qu’ils auront été identifiés et notamment quand les appels auront été faits sur Internet. A cet égard, je salue la détermination du parquet dans l’affaire de l’individu qui avait appelé au boycott de produits israéliens par voie d’affichettes dans un centre commercial de Mérignac (1. » Ainsi s’exprime Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d’Etat, ministre de la justice et garde des sceaux, le 18 février, dans son discours au dîner de l’antenne bordelaise du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF).

L’« individu » qu’elle évoque s’appelle Sakina Arnaud. Membre de la Ligue des droits de l’homme, elle participe à la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS) dans sa région. Lui reprochant d’avoir apposé des autocollants sur des produits provenant de colonies israéliennes de Cisjordanie, le grand magasin Carrefour de Mérignac porte plainte contre elle pour« dégradation légère ». Le parquet requalifie toutefois la plainte en« incitation à la discrimination raciale, nationale et religieuse ». Sur cette nouvelle base, le tribunal de Bordeaux la condamne, le 13 février, à une amende pénale de 1 000 euros, plus 1 euro de dommages et intérêts pour les parties civiles (l’association Avocats sans frontières de Gilles-Wiliam Goldnadel, qui vient d’être élu à la direction du Conseil représentatif des institutions juives de France, et la Chambre de commerce France-Israël) et 500 euros de frais de justice. Carrefour, en revanche, est débouté !
Que les autorités françaises aient voulu faire un exemple, nul n’en doute. Mais il y a fort à parier qu’elles n’en resteront pas là. D’ores et déjà, des militants d’autres villes sont convoqués au commissariat ou la Préfecture pour avoir participé à telle ou telle action BDS. Pourtant, le 20 mai 2009, dans une réponse au député Eric Raoult à l’Assemblée nationale, Mme Michèle Alliot-Marie assurait : « Depuis le début du conflit israélo-palestinien au mois de décembre 2008, plusieurs associations de défense de la cause palestinienne sont intervenues dans des grandes surfaces en appelant au boycott des produits en provenance d’Israël ou de pays supposés apporter une aide à ce pays (…). Ces opérations, il faut bien le préciser, touchent des produits importés d’Israël et non des produits casher. » (2)
Le mouvement de solidarité aurait-il, entre-temps, changé d’orientation et de méthodes, pour s’en prendre aux produits, magasins et restaurants juifs observants ? Le ministère de l’intérieur n’a signalé aucune action de ce type. Et pour cause : l’antisémitisme et le racisme ont toujours été radicalement étrangers au mouvement français de solidarité avec la Palestine. Comment une ministre d’Etat peut-elle se contredire avec autant d’aplomb, pour proférer une contre-vérité reprise à son compte par le premier ministre lui-même (3) ? Et pourquoi cette tentative soudaine pour intimider et discréditer ceux qui dénoncent l’impunité d’Israël ?
La réponse se trouve peut-être dans cet aveu récent de Daniel Shek, l’ambassadeur d’Israël en France : « Nous encourageons des organisations à porter plainte contre les organisateurs du boycott. Nous conduisons des activités politiques à l’ambassade en liaison directe avec des ministres, des organisations, des étudiants et des consommateurs, qui se réveillent  (4) ». Etrangement, cette intervention directe dans les affaires intérieures françaises n’a entraîné aucune réaction du Quai d’Orsay. On imagine comment ce dernier aurait réagi si la Déléguée générale de Palestine en France s’était targuée publiquement de se concerter avec des membres du gouvernement et des associations afin d’organiser le dépôt de plaintes contre l’importation en fraude de produits des colonies de Cisjordanie sous l’appellation frauduleuse made in Israël
Mais l’ingérence de M. Daniel Shek trahit surtout l’affolement des dirigeants israéliens devant leur isolement croisant, avec l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies du rapport Goldstone (novembre 2009) et la ferme prise de position du Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne sur Jérusalem (décembre), sans oublier le Dubaïgate (février 2010). Alors que la complicité de la « communauté internationale » conditionne plus que jamais la possibilité pour Israël de poursuivre sa politique anti-palestinienne, cette « série noire » a de quoi inquiéter MM. Benyamin Netanyahou, Avidgor Lieberman et Ehoud Barak.
D’autant qu’une partie de l’opinion, choquée par le massacre de Gaza et lasse de l’impunité d’Israël, entre à son tour dans l’arène, pour faire pression sur les responsables économiques et politiques. Avec de premiers succès. Les gouvernements britannique et irlandais exigent d’Israël qu’il étiquette les produits des colonies. Veolia, à qui son implication dans le tramway de Jérusalem a fait perdre des marchés juteux, envisage de s’en retirer. La banque Dexia cesse de prêter aux colonies (sauf celles de Jérusalem). Le puissant Fonds souverain norvégien désinvestit d’une société chargée de l’électronique du mur. Le Fonds de pension danois PKA et la Danske Bank boycottent la colonisation. Sans parler des « petites victoires » remportées à la base : Nouvelles Frontières modifiant son site et son catalogue, Soda-Club écarté de la Fête des vendanges à Montmartre, etc.
La contre-offensive juridique coordonnée par l’ambassade d’Israël avec des associations pro-israéliennes et l’appui des autorités françaises peut de surcroît se heurter à une contradiction juridique. Si le boycott d’Israël et de sa production en tant que tel tombe notamment sous le coup des articles 225-1 et 225-2 du Code pénal et de l’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, en revanche aucune loi ne réprime celui des produits de la colonisation israélienne. Au contraire, ces derniers sont directement visés par plusieurs textes européens et français :
- l’Accord d’association Union européenne-Israël, qui, par son article 83, exclut les produits des colonies des avantages fiscaux dont jouissent ceux « du territoire israélien ». Autrement dit, ils doivent acquitter des taxes qu’ils fraudent en se présentant comme produits d’Israël. Dans son avis en date du 29 octobre 2009, l’avocat général de la Cour européenne de justice, précise que « le régime préférentiel en vertu de l’accord CEE-Israël ne peut être appliqué à un produit originaire de Cisjordanie et, plus généralement, des territoires occupés »  ;
- le Code français du commerce, qui interdit la falsification des« règles d’origine » des produits (et donc la mention « made in Israël » au lieu de « made in Palestine » ou « made in Westbank », etc.) ;
- la Directive européenne 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 « relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs ». Cette directive est relayée dans le droit français par les articles L 121-1 et suivants du code de la consommation qui prévoient et répriment les pratiques commerciales trompeuses créant une confusion ou reposant sur des allégations ou présentations fausses ou de nature à induire le consommateur en erreur.
Si la campagne BDS choisit de se concentrer sur les productions des colonies (5), elle peut donc s’appuyer sur la loi et porter ainsi un coup d’arrêt sérieux à la contre-offensive concoctée par Daniel Shek. A moins que Mme Alliot-Marie, qualifie le législateur (européen et français) d’« antisémite » et le poursuive comme tel…
Dominique Vidal
(2Séance unique du mercredi 20 mai 2009, Assemblée nationale.
(3) Au dernier dîner du CRIF, le 4 février 2010, M. François Fillon dénonçait les « scandaleux mouvements de boycott des produits casher ou israéliens ».
(4The Marker, Tel-Aviv, 27 janvier 2010.
(5) Omar Barghouti, qui fut à l’initiative de la campagne et la coordonne du côté palestinien, précise dans un texte très récent :« La direction palestinienne collective du BDS a toujours pensé que les personnes et organisations de conscience qui soutiennent les droits humains connaissent le mieux leurs situations respectives et sont les plus capables de décider des moyens et des rythmes appropriés pour construire le mouvement BDS dans leur environnement. Quelquefois, viser tactiquement des produits faits seulement dans les colonies peut-être le meilleur moyen pour faire progresser une campagne » (« Boycott “Ariel” and the Rest ! All Israeli Academic Institutions are Complicit in Occupation and Apartheid », Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel).

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