mercredi 20 octobre 2010

Durant que le soldat israëlien sent bon le bataillon Henri Barbusse, le soldat russe, de son côté, pue très fort la vinasse, par Sébastien Fontenelle (août 2008)

Il y a deux ans, rappelle-toi, remember : l’armée israélienne faisait au Liban du hachis menu de civil(e)s, et notre plus fameux romanquêteur en avait profité pour aller faire, là-bas, du "tourisme de propagande".
Quand je dis "là-bas", je veux dire que BHL était allé passer un peu de son temps estival côté israélien : il en avait rapporté, pour notre Monde référentiel, un hallucinant publireportage.

Et là, juste , que lis-je ?
Dans Le Monde, rechef ?
Je lis que BHL est reparti à la guerre.
En Géorgie, cette fois-ci.
Du coup : je me suis lancé dans une étude comparative.
Très superficielle, j’en conviens.
Mais d’où ressort, tout de même, et si on schématise un peu, que le soldat israélien qui a dans sa ligne de mire des populations libanaises est en moyenne un mec plutôt jeune et sympa, et qui sent bon le sable chaud, alors que le soldat russe qui a dans sa ligne de mire des populations géorgiennes est une espèce de gros soudard qui pue la gnôle dégueulasse dont le Slave brutal se charge de père en fils depuis 5.000 générations : l’atavisme, sans doute…
Il est vrai, me diras-tu, que BHL n’adopte pas exactement le même point de vue en 2008 qu’en 2006, et que ça peut lui fausser un peu le jugement (qu’il a généralement très sûr).
Et en effet : quand l’armée israélienne harasse des populations libanaises, BHL adopte le point de vue de l’armée israélienne.
Mais : quand l’armée russe harasse des populations géorgiennes, BHL adopte le point de vue des populations géorgiennes.
(D’où je penche assez pour conclure que du point de vue de BHL, toutes les sales guerres ne se valent pas, et qu’il en trouve, en cherchant bien, de moins sales que d’autres - et que finalement la soldatesque russe qui tue des civil(e)s de la Géorgie est un épais amas de salauds d’envergure, cependant que la soldatesque israélienne qui tue des civil(e)s du Liban rappelle un peu les fiers brigadistes internationaux du bataillon Henri Barbusse dressés naguère contre Franco : tu vas voir, j’en rajoute à peine.)
Pour autant : cette faculté que BHL a de passer du camp de l’attaquant au camp de l’attaqué ne l’empêche pas d’observer que le militaire varie, d’une sale guerre l’autre.
Ainsi relève-t-il assez vite, au mois de juillet 2006, que l’armée israélienne a quelque chose en elle, non tant de Tennessee, que d’antifranquiste.
Il est vrai que cette année-là, notre haut penseur commence à écrire "le 17 juillet", qui est "l’anniversaire du déclenchement de la guerre d’Espagne", et que, forcément, ça l’inspire, car il a en lui, quant à lui, quelque chose d’André Malraux (en plus raffiné, il va de soi) : "Cela fait soixante-dix ans, jour pour jour, qu’eut lieu le putsch des généraux qui donna le coup d’envoi à la guerre civile, idéologique et internationale voulue par le fascisme de l’époque".
Rappelle-t-il.
Et de préciser : "Je ne peux pas ne pas y penser, je ne peux pas ne pas faire le rapprochement, tandis que j’atterris à Tel-Aviv".
(Je frémis, quand je me dis que BHL aurait pu atterrir à Tel-Aviv le 16 ou le 18 juillet 2006.)
Bon, quelques temps plus tard, le voilà qui "monte vers Avivim.
Puis, d’Avivim, jusqu’à Manara, que tiennent les Israéliens et où ils ont installé, dans un cirque de deux cents mètres de diamètre, un champ d’artillerie".
Un cirque ?
BHL s’arrête.
Et là, dans ce magnifique "champ" où l’"artillerie" a poussé dru, "trois choses" le "frappent".
(Je frémis, quand je me dis que deux ou quatre choses auraient pu le frapper, alors que tout le monde sait qu’une démonstration philosophique en trois points est le seul moyen d’arriver à se faire un chemin dans la vie.)
Je te cite les "trois choses" en question in extenso, c’est un peu long, mais tu vas voir : ça vaut réellement la peine de se faire chier trois minutes, l’extase est au bout du sentier.
"Chose" un : "L’extrême jeunesse des artilleurs : vingt ans ; peut-être dix-huit [1] ; leur air stupéfié quand le coup part, comme si c’était chaque fois la première fois ; leurs moqueries de gamins quand le copain n’a pas eu le temps de se boucher les oreilles et que la détonation l’assourdit ; et puis le côté grave en même temps, pénétré, de qui se sait aux avant-postes d’un drame immense, et qui le dépasse".
(Les moqueries des Libanais(es) dont les copains reçoivent dans la gueule un obus sont assez rigolotes aussi, car ces gens sont taquins.)
"Chose" deux : "L’allure décontractée ensuite, j’allais dire débraillée et même désoeuvrée, d’une petite troupe qui me rappelle irrésistiblement la joyeuse bousculade des bataillons de jeunes républicains décrits, une fois encore, par Malraux : une armée plus sympathique que martiale ; plus démocratique que sûre d’elle et dominatrice ; une armée qui, ici, en tout cas, me semble aux antipodes de ces bataillons de brutes, ou de Terminators sans principes ni pitié, qu’ont si souvent décrits les grands médias européens".
(Je te rappelle que des centaines de civil(e)s du Liban sont morts sous les bombardements de cette sympathique armée de jeunes brigadistes internationaux.)
"Chose" trois : "Et puis cette drôle de machine enfin, (…) qui, elle, ne tire pas : (…) une salle des machines mobiles où l’on entre, comme dans un sous-marin, par une tourelle centrale et une échelle de coupée ; il s’y tient six hommes, certains jours sept, qui s’affairent autour (…) de radars, ordinateurs et autres appareils de transmission dont le rôle est de collecter du renseignement pour, ensuite, déterminer les paramètres de tir qu’on va transmettre aux obusiers ; et la vérité est qu’il y a là, au principe du feu israélien, un véritable laboratoire de guerre où des savants-soldats déploient une intelligence optimale pour, le nez collé sur leurs écrans, tentant d’intégrer jusqu’aux plus impondérables données de terrain qui leur arrivent, calculer la distance de la cible, sa vitesse de déplacement ainsi que, last but not least, le degré de proximité d’éventuels civils dont l’évitement est, ici au moins, j’en témoigne, un souci prioritaire - et pourtant…"
(Je suppose que tu l’auras compris : avec des humanistes si merveilleusement appareillés, c’est vraiment la faute à pas-de-chance que tant de civil(e)s soient morts sous de si méticuleux bombardements.)
Alors ?
Est-ce que j’avais pas raison de te prévenir que l’extase était au bout du chemin ?
Nous avons-là, si je résume, en ce lumineux mois de juillet 2006, des mecs à la coule, mais concentrés, jeunes, mais graves, et en même temps : républicains, sympathiques, démocratiques, savants, équipés de machines drôles, et, last but not least, follement soucieux d’éviter que leurs bombardements ne tuent des civil(e)s.
Des guerriers de proximité, comme on aimerait en voir plus souvent.
Bon.
Et maintenant, si tu le veux bien ?
Suivons BHL en Géorgie, deux ans après son escapade en Espagne républicaine.
(Tu vas voir, l’ambiance n’est pas vraiment la même : d’ailleurs les chars de l’armée russe, à la différence des canons de l’armée israélienne, ne font pas (du tout) un joli "champ".)
Le voilà qui tombe, à peine arrivé, "à la hauteur d’Okami", sur un premier "officier russe".
Jeune ?
Sympa ?
Républicain ?
Peeeeenses-tu.
On n’est pas le 17 juillet, d’une part.
Le mec "a l’air d’avoir trop bu", d’autre part : qui aurait envie, dans ces conditions, de lui demander si des fois il n’organiserait pas, impromptu, la visite guidée, pour un penseur de gros niveau, d’une drôle de machine en forme de sous-marin ?
Avec plein de jolis nécrans de guidage ?
BHL, courageux, continue sa mission.
Il progresse vers Gori (en songeant que la condition humaine est quand même riche en rebondissements), et tout d’un coup : voilà un nouvel "officier".
Russe, toujours, évidemment.
Un savant ?
Plus sympa que martial ?
Neuuuun : le mec "aboie".
Un peu comme un chien, si tu veux.
(Mais un peu seulement : je te rappelle, pour le cas où tu l’aurais oublié, que BHL a récemment fait valoir, dans un billet de soutien à son ami Val (de Charlie Hebdo), aimablement publié parLe Monde, que les "métaphores zoologiques (…) sont toujours la marque du fascisme".
En sorte que si BHL énonce qu’un officier russe "aboie", il ne faut pas (du tout) y voir une métaphore zoologique, mais bien plutôt la description, méticuleuse (et antifasciste), de la bizarre manière que cet officier a de communiquer avec les philosophes.)
De surcroît : cet officier-là est "bouffi d’importance et de vodka".
Avoue que ça ne s’arrange pas : l’autre avait l’air bourré, celui-ci est bouffi d’alcool, est-ce que ça va continuer longtemps comme ça ?
BHL continue sa mission, et voilà que déboule un "général Vyachislav Borisov".
(Je me demande si c’est pas le nom d’un méchant, dans un James Bond.
Ou si c’est une contrepèterie ?
En tout cas c’est un nom qui fout salement les jetons, je te l’annonce.)
Ivre, lui aussi ?
Non.
Cet officier-là ne boit pas (encore) : il fume, et "allume une cigarette dont l’allumette fait sursauter le petit tankiste blond qui s’était endormi dans sa tourelle".
(Tu noteras que l’artilleur israélien est "jeune", alors que le tankiste russe est "petit".
Et sinon, toi ?
Tu aimes les films de gladiateurs ?)
Naturellement, je n’ai aucune sympathie pour l’armée russe.
Ca me fait de la peine d’avoir à le mentionner.
Aucune sympathie, non plus, pour l’armée israélienne.
Mais t’as vu comme c’est facile, en jouant sur (et avec) les mots, de nous rendre certains militaires plus et mieux aimables que d’autres - nonobstant qu’au bout de leurs canons, les civil(e)s saignent d’un même sang ?

Source: l'ancien blog de Sébastien Fontenelle sur bakchich

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