Le texte qui suit propose une analyse critique d’un cycle d’émission sur les racismes, proposé par Raphaël Enthoven dans le cadre des Nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture, du lundi 1er au vendredi 5 décembre 2008.
« Raphaël a l’air d’un sage, mais ses paroles sont de velours
De sa voix grave, et de son regard sans détour
Quand il raconte, quand il invente,
je peux l’écouter nuit et jour »
C’est en ces termes, dans une chanson qui ne fera sans doute pas date (Quatre consonnes et trois voyelles, c’est le prénom de Raphaël), que Carla Bruni rend hommage à son alors-amant, Raphaël Enthoven. Raphaël est un jeune bellâtre qui a su faire fructifier son capital social (il est le fils d’un des plus proches amis et collaborateurs de Bernard-Henri Lévy : Jean-Paul Enthoven, conseiller de la rédaction du magazine Le Point et directeur éditorial des Éditions Grasset [1]) et se retrouver à 33 ans à la tête de l’émission la plus prestigieuse et emblématique de la station France Culture : Les Chemins de la Connaissance – qu’il a d’ailleurs effrontément et comiquement rebaptisésLes Nouveaux Chemins de la Connaissance, sans doute en hommage aux Nouveaux Philosophes dans le giron desquels il a grandi.
Mais ce serait faire injure à l’oeuvre enthovénienne que de réduire ainsi la nouveauté de ces Chemins de la Connaissance. Raphaël a bel et bien su imprimer sa marque à cette vénérable émission : d’abord un charmant parfum rétro qu’elle n’avait jamais eue auparavant, une tentative méticuleuse – et un peu pathétique – de retrouver l’ambiance désuète des « causeries » entre « gens de lettres » du début du vingtième siècle... Pour être plus explicite, le vocabulaire de Raphaël, mais aussi et surtout ses intonations, son enthousiasme emprunté, sa manière de prononcer toutes les liaisons, font de lui une caricature plus vraie que nature de « l’intello pédant » issu de la très haute bourgeoisie parisienne [2].
Autre nouveauté :
Une conception très particulière de la connaissance.
Vous allez voir, c’est assez sidérant. Les Nouveaux Chemins de la Connaissance sont consacrés cette semaine aux racismes, au pluriel – car « il n’y a pas qu’un racisme, mais plusieurs », dixit Raphaël himself. Mais pour acquérir et transmettre de la connaissance sur le racisme, quels nouveaux chemins notre nouveau Nouveau-philosophe a-t-il choisi d’emprunter ? Quelles formes de racisme a-t-il choisi de distinguer ? Il fallait bien faire un choix, puisque le principe de l’émission prévoit pour chaque thématique cinq émissions quotidiennes échelonnées du lundi au vendredi, et qu’au cours de l’histoire le nombre de groupes racisés s’élève bien au-delà de cinq.
Pour aller à l’essentiel, une option, manifestement choisie par Raphael, consistait à se concentrer sur l’ici et maintenant, en se focalisant sur les formes de racisme les plus marquantes du moment dans notre aire géo-politique : la France et l’Europe. Ces chemins présentaient l’avantage d’être bien balisés : en France comme dans les autres pays européens, une multitude d’enquêtes sociologiques, de rapports d’associations, de sondages d’opinions et d’opérations de testing convergent vers une même conclusion : les groupes qui font l’objet des préjugés et des actes racistes les plus violents, les plus massifs, les plus réguliers et les plus banalisés sont actuellement les Noirs, les Arabes, les musulmans et les roms. De quoi occuper les quatre premières journées : la négrophobie lundi, l’arabophobie mardi, l’islamophobie mercredi, le racisme anti-roms jeudi.
Quant au vendredi, le choix aurait certes été difficile, mais pas impossible. Il aurait pu par exemple être consacré à l’antisémitisme, qui est malheureusement loin d’avoir disparu. Ou au mépris des Asiatiques, qui est l’éternel oublié des différent mouvements antiracistes. Un autre expédient acceptable aurait été de consacrer une même séance à l’arabophobie et à l’islamophobie (en prenant toutefois soin de bien marquer leur différence et leur irréductibilité autant que leurs recoupements et intrications), de manière à libérer une séance entière pour l’antisémitisme et une autre pour le racisme anti-asiatique.
Comment Raphaël s’en est-il sorti ? C’est précisément là que se produit le miracle, le coup de génie, la découverte d’un chemin véritablement nouveau ! À rebours de plusieurs décennies de travaux de recherche, l’onctueux jeune homme nous propose un tout autre classement. Les cinq formes de racisme qu’il choisit de mettre en avant sont les suivantes :
l’antisémitisme (qui est effectivement une forme de racisme)
la mysogynie (ici les choses commencent à se corser : les mécanismes sociaux et cognitifs à l’oeuvre dans le sexisme sont certes analogues à ceux du racisme, mais il aurait été plus conséquent, plus sérieux, plus antiraciste et plus antisexiste de consacrer la semaine sur le racisme à des racisés et une semaine sur le sexisme à des groupes « sexualisés »)
l’homophobie (même remarque : l’homophobie est en de nombreux point analogue au racisme, mais elle mérite à elle seule une semaine et cinq émissions : homophobie anti-gay, lesbophobie, transphobie, préjugés sur les bi...)
le communautarisme (ce pseudo-concept dont d’innombrables chercheurs et militants ont déconstruit et dénoncé la signification et / ou la fonction idéologique, bien plus proche du racisme que de l’antiracisme [3])
Mais nous gardons le plus beau pour la fin, et c’est effectivement le vendredi, dernier jour de la semaine, que Raphaël a prévu d’achever son tour d’horizon. Et croyez-vous qu’il va, in extremis, recentrer ses pérégrinations ? Croyez-vous qu’il va revenir au coeur du racisme le plus massif et vénéneux du moment ? Croyez vous qu’il va, en une même séance finale, accorder une petite place aux racismes anti-noir, anti-arabe, anti-musulman, anti-asiatiques, anti-roms ?
Que nenni ! Raphaël a estimé plus pertinent, plus urgent, plus antiraciste sans doute – ou tout bêtement plus nouveau ! – de finir en apothéose sur ce racisme méconnu qu’est...
Attention... Tenez vous bien...
l’anti-américanisme !
Il fallait y penser !
On avait trop longtemps passé sous silence ce racisme brutal et systémique que subissent, de par le monde, les Américains : stigmatisation quotidienne, discriminations à l’embauche, au logement, relégation dans les sphères économiques les plus basses, harcèlement policier, passages à tabac, pogroms... Il n’y a rien à dire : Raphaël a bel et bien emprunté un nouveau chemin, produit une nouvelle conception de la connaissance, et inventé unnouveau racisme ! Quant aux esprits chagrins ou aigris qui se demanderaient où sont passés les noirs, les arabes et les musulmans, qu’ils prennent la peine de réfléchir et ils verront que Raphaël leur a en réalité réservé une place de choix. Ils sont en fait présents,en sous-texte, dans les cinq émissions ! En effet, devinette :
Quel est le dénominateur commun entre l’anti-américanisme, le communautarisme, l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie ?
Qui en est le principal vecteur ?
Qui est congénitalement communautariste, anti-américain, antisémite, sexiste et homophobe ?
Qui, plus précisément, est quotidiennement désigné comme tel ?
Les fameux arabo-musulmans, justement !
C.Q.F.D.
(Ceux Qu’il Fallait Diaboliser)
Et ça n’a pas manqué : l’émission consacrée mardi 2 décembre à l’antisémitisme a vite dérivé vers lesdits « arabo-musulmans »... [4] Quant à l’émission du mercredi, consacrée au sexisme, son dernier mot a été une longue diatribe de huit minutes contre les femmes voilées, qualifiées de « collabos » de l’ordre sexiste par l’invitée Soeur Caroline Fourest, et trois conseils bibliographiques pour approfondir la réflexion sur le sexisme : L’école des femmes de Molière (au fait : c’est justement de l’école que les filles voilées ont été exclues depuis 2004 !), La tentation obscurantiste de l’incontournable Soeur Caroline et enfin le pamphlet islamophobe Bas les voiles ! de Chaddorrt Djavann...
Pour conclure, c’est bien Carla qui avait raison : Raphaël a bien une voix de velours et unair de sage, et son talent principal est bien d’ inventer et de raconter des histoires. Inventeur de racismes (le communautarisme ! l’anti-américanisme !), raconteur de mythes (le péril islamiste, le choc des civilisations), il a effectivement révolutionné Les Chemins de la Connaissance, à tel point qu’on lui suggère des titres plus appropriés à son oeuvre novatrice : Les Chemins de l’Air du Temps, Les Avenues du Préjugé, ou encore Les Autoroutes de l’Idéologie Dominante.
Notes
[1] Jean-Paul Enthoven se définit lui même, dans un entretien publié en mai 2004 par le magazine Lire, comme le « ministre de l’Intérieur » du réseau BHL. Par ailleurs, pour se faire une idée de l’univers social dans lequel gravite la dynastie Enthoven, on peut se référer à l’incroyable description que Jean-Paul Enthoven donne dans son dernier livre de son séjour dans le palais de BHL à Marrakech :
« Je voyais en contrebas, dans les patios, le ballet des domestiques qui composaient des bouquets de roses sauvages. Ils étaient trop nombreux pour que je me souvienne de leurs prénoms, mais nous échangions des sourires affectueux. »
(Jean-Paul Enthoven, Ce que nous avons eu de meilleur, Éditions Grasset, 2008, p. 12)
[2] Disons : une diction à la Alain Finkielkraut, mais en moins punk, moins nerveux, moins tourmenté, et en plus suave et plus chantant. Nous arrêtons là nos tentatives de description de la voix de Raphaël. Nous conseillons aux lecteurs et lectrices d’aller l’écouter sur France culture : c’est assez amusant à entendre.
[3] Cf. notamment notre rubrique Communautarisme
[4] Il n’est tout de même pas interdit d’évoquer aussi le racisme anti-juif quand il vient d’un Arabe ou d’un musulman, dira-t-on. Certes. Mais il n’est pas interdit non plus de trouver suspect le fait, dans une semaine sur le racisme, de parler davantage d’Arabes ou de musulmans racistes que d’Arabes ou de musulmans subissant le racisme.
Source: LMSI
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